République kirghize · 8 mai 2025 · 3 min
AKDN / Altyn Kapalova & Maria Waagbo
Pendant des siècles, les femmes des sociétés nomades ont conduit les chevaux, monté et démonté les tentes, géré leur foyer, élevé leurs enfants et confectionné des objets artisanaux délicats. Pourtant, leur travail a longtemps été oublié. En effet, les dirigeants et artistes masculins sont largement majoritaires dans les archives historiques et dans les initiatives des institutions culturelles, aux dépens des femmes, dont l’histoire reste dans l’ombre.
L’Unité pour le patrimoine culturel et les sciences humaines (CHHU) de l’Université d’Asie centrale (UCA) s’efforce de faire évoluer cette situation. Altyn Kapalova, chercheuse au CHHU, est à la tête du programme de développement des musées d’Asie centrale, qui favorise l’inclusion des genres dans les musées, et est la commissaire de l’exposition Kurak, qui met en lumière l’art textile des femmes de la région.
Altyn Kapalova avec le président du Centre national de la culture asiatique lors de l’inauguration de l’exposition Suluusuu, qui met en lumière la créativité des femmes et les relations entre la République kirghize et la Corée du Sud.
Au travers de subventions et de formations, le programme de développement des musées d’Asie centrale aide les professionnels des musées de la région à intégrer les récits des femmes dans leurs expositions et archives historiques.
« Aujourd’hui, lorsqu’on entre dans un musée, il y a une dominante masculine. Cette tendance n’est pas unique à la République kirghize, on peut l’observer dans les musées du monde entier », affirme Altyn Kapalova. « Par notre travail, nous aidons les professionnels des musées à se montrer plus ouverts à l’égalité des genres et à redonner place au travail créatif des femmes. »
L’un des musées partenaires de ce programme a par exemple ravivé l’histoire des ouvrières du coton et fait aujourd’hui connaître leur rôle dans le façonnement du paysage économique et social de la République kirghize. « Qu’une femme soit activiste, artiste ou femme au foyer, elle doit pouvoir se voir reflétée dans l’histoire. Ces histoires ne relatent donc pas seulement le passé ; elles constituent une base pour les femmes d’aujourd’hui », explique Altyn Kapalova.
Au-delà des difficultés institutionnelles, un autre obstacle majeur est le doute de soi. En effet, de nombreuses femmes se montrent hésitantes à exposer leur travail, estimant qu’elles ne sont « pas assez bonnes ». Bien qu’il soit compliqué de surmonter des années de pression sociétale et de limitations intériorisées, Altyn Kapalova affirme que lorsque les femmes s’unissent, la tâche devient plus facile.
Remettre en question les récits traditionnels dans les musées n’est pas une sinécure. « Il est difficile d’entrer dans une institution patriarcale et d’y introduire un projet soucieux de l’égalité des genres, car tout s’y oppose, y compris le système et les membres du personnel. Cependant, nous ne baissons pas les bras ; nous redonnons à l’histoire des femmes sa place légitime. »
Au travers de son travail dans les musées et dans les secteurs des arts et du patrimoine culturel, Altyn Kapalova continue de créer des espaces où les voix des femmes sont entendues, où leurs talents sont reconnus et où leurs histoires sont préservées pour que les générations futures puissent les entendre.
Ak-Bata (« bénédictions ») est un projet destiné aux filles et aux femmes lancé par le musée de la civilisation nomade de la République kirghize qui a bénéficié du soutien du programme de développement des musées d’Asie centrale en 2022.
En République kirghize, le kurak n’est pas seulement une technique traditionnelle de tissage de patchwork, mais une tradition artistique transmise de génération en génération porteuse de récits de résilience, de créativité et d’identité nationale. « Nos grands-mères et arrière-grands-mères ont fait du kurak un aspect de la vie quotidienne. Aujourd’hui, des artistes professionnelles perpétuent cette tradition », explique Altyn Kapalova.
Malgré une histoire vieille de plusieurs siècles, le kurak est largement resté ignoré des espaces artistiques traditionnels. En présentant des pièces historiques de kurak aux côtés d’œuvres contemporaines, cette exposition vise à redonner sa visibilité à cet art. « Nous avons baptisé l’exposition Kurak: The Interwoven Stories of Women (Kurak : les histoires croisées des femmes), car elle reflète le passé, le présent et la solidarité qui unit les femmes de génération en génération », poursuit Altyn Kapalova.
De nombreuses femmes hésitent encore à exposer leurs œuvres, estimant qu’elles ne sont « pas assez bonnes ». Altyn Kapalova affirme que lorsque les femmes s’unissent, la tâche devient plus facile.
Le musée national kirghize des beaux-arts G. Aitiev expose des pièces de kurak de sa collection, ainsi que des œuvres d’artistes textiles contemporaines. Ces artistes introduisent de nouvelles formes et interprétations au croisement de thématiques sociales et personnelles tout en perpétuant et en préservant les techniques traditionnelles. L’exposition fait ainsi office de passerelle entre le passé et le présent et montre comment la tradition continue d’évoluer au travers de l’expression artistique moderne.
Cette initiative ne met pas seulement en lumière l’art du kurak en République kirghize, mais vise également à l’inscrire sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO afin de garantir sa préservation et d’améliorer sa visibilité à l’échelle internationale. « De nombreuses listes du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO mettent en avant des traditions dominées par les hommes. Nous souhaitons que le kurak soit reconnu comme une tradition artistique féminine afin que les contributions des femmes kirghizes aient la place qu’elles méritent sur la scène internationale », explique Altyn Kapalova.
Le kurak n’est pas seulement une forme d’art, c’est un témoignage de la créativité et de la résilience des femmes kirghizes. En préservant cette tradition et en encourageant de nouvelles expressions artistiques qui s’en inspirent, l’exposition garantit que leurs histoires seront révélées et célébrées pour les générations à venir.
« Nos grands-mères et arrière-grands-mères ont fait du kurak un aspect de la vie quotidienne. Aujourd’hui, des artistes professionnelles perpétuent cette tradition », explique Altyn Kapalova.